Il y a des moments où nous nous demandons si nous sommes fous, si nous sommes les seuls dans notre condition… Et le plus troublant, c’est quand les professionnels censés nous aider ne semblent pas se soucier de notre santé. En quelques minutes à peine, on nous tend une prescription comme un pansement sur une plaie, sans réelle explication, sans discussion honnête sur les effets secondaires, les risques à long terme sur la santé, la dépendance et le sevrage.
De nombreux témoignages et plusieurs enquêtes démontrent le fléau de la prescription de médicaments au Canada. C’est notamment le cas du reportage Cauchemar sur ordonnance de Brigitte Noël et Judith Plamondon, présenté à Enquête en février 2024. Pendant plusieurs mois, Enquête s’est penché sur les conséquences alarmantes de la surprescription des benzodiazépines et des hypnotiques en Z, des médicaments à fort risque de dépendance et pouvant entraîner des effets secondaires graves. Une situation que plusieurs considèrent comme une crise de santé publique.
Les benzodiazépines et les hypnotiques de type Z sont des médicaments couramment prescrits pour traiter les troubles du sommeil. Les benzodiazépines peuvent également être utilisées pour soulager l’anxiété et d’autres affections. Voici quelques exemples fréquemment prescrits: Xanax, Valium, Ativan, Serax, Rivotril, Restoril, Imovane, Sublinox, Alprazolam, Diazépam, Lorazépam, Oxazépam, Clonazépam, Témazépam, Zopiclone et Zolpidem.
Parfois, les effets secondaires de ces médicaments amènent les professionnels de la santé à poser de mauvais diagnostic et à prescrire des médicaments supplémentaires, comme des antidépresseurs. Ces derniers sont notamment prescrits pour traiter la dépression, les troubles anxieux, les troubles obsessifs-compulsifs, le syndrome de stress post-traumatique, les phobies et la boulimie.
Les nouveaux médicaments utilisés pour ces problématiques sont des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et de la noradrénaline (IRSN), réputés pour ne pas créer de dépendance. Les plus connus sont: Paxil, Effexor, Prozac, Cymbalta, Celexa, Cipralex, Zoloft et Luvox.
Si cette nouvelle classe de médicaments n’est pas reconnue pour créer de la dépendance, qu’en est-il vraiment?
Effets secondaires fréquents des antidépresseurs
Avant d’aborder le sujet de la dépendance et du sevrage, il est essentiel de mentionner les effets secondaires des antidépresseurs. Bien que les ISRS et IRSN soient efficaces pour de nombreux patients, ceux-ci entraînent fréquemment des effets indésirables, incluant:
- Troubles gastro-intestinaux: nausées, diarrhées, constipation, vomissements, douleurs abdominales
- Troubles du sommeil: insomnie, somnolence, rêves anormaux
- Symptômes neurologiques: céphalées, vertiges, tremblements, paresthésies
- Troubles sexuels: diminution de la libido, dysfonction érectile, anorgasmie
- Prise de poids: certains patients peuvent constater une augmentation de l’appétit et du poids
- Anxiété et agitation
- Sécheresse buccale
- Transpiration excessive
Risques à long terme des antidépresseurs
Maintenant que nous connaissons les effets secondaires fréquents, voyons les risques potentiels sur la santé associés à une utilisation prolongée (plusieurs mois ou années):
- Dysfonction sexuelle persistante post-ISRS (PSSD): baisse durable ou perte totale de libido, anorgasmie ou orgasme sans plaisir, et diminution de la sensibilité génitale, pouvant persister après l’arrêt du médicament.
- Engourdissement émotionnel: réduction de la capacité à ressentir des émotions positives ou profondes, impression d’être «détaché» ou «éteint» intérieurement.
- Troubles cognitifs: difficultés de concentration, troubles de la mémoire à court terme, parfois réversibles après l’arrêt, mais pas toujours.
- Risque cardiovasculaire: allongement de l’intervalle QT, entraînant un risque d’arythmies cardiaques (surtout avec le citalopram et l’escitalopram), hypertension (notamment avec les IRSN comme Effexor).
- Risque de saignements: augmentation du risque de saignement gastro-intestinal, surtout en combinaison avec des AINS.
- Hyponatrémie: baisse dangereuse du sodium sanguin (surtout chez les personnes âgées)
- Ostéoporose et fractures: Une utilisation prolongée est associée à un risque accru de fractures, possiblement par une réduction de la densité osseuse.
Dépendance et sevrage des antidépresseurs
Bien que les ISRS et IRSN ne soient pas considérés comme créant une dépendance «classique» comme les benzodiazépines ou les opioïdes, ils peuvent entraîner une dépendance physiologique et psychologique.
Les effets du sevrage peuvent inclure:
- Symptômes s’apparentant à ceux de la grippe: fatigue, maux de tête, sueurs, douleurs physiques
- Perturbation du sommeil: cauchemars, insomnie
- Problèmes gastriques: nausées, vomissements, diarrhée
- Instabilité: étourdissements, vertiges
- Problèmes sensoriels: engourdissements, picotements, sensations de choc électrique au cerveau, dans les bras et dans les jambes
- Symptômes psychologiques: irritabilité, anxiété, attaque de panique, crise de larmes, peur irrationnelle, confusion, pensées suicidaires
- Autres: akathisie, troubles de la vision (embrouillée, stroboscopique), palpitations, acouphènes, tremblements
Le sevrage peut durer de quelques semaines à plusieurs mois, voire plus dans certains cas, surtout avec des molécules à demi-vie courte comme Paxil ou Effexor.
Si le syndrome de sevrage des antidépresseurs est fréquent lors d’un arrêt brutal ou d’une diminution trop rapide, surtout après une prise prolongée (plus de quelques mois), celui-ci peut également survenir lors d’un arrêt progressif encadré par un médecin.
Malheureusement, comme le démontre un article particulièrement intéressant de Radio-Canada, publié en février 2024:
«Beaucoup se font dire par leur médecin ou leur psychiatre: non, ce n’est pas le sevrage, c’est le retour de la dépression ou de l’anxiété […] Alors plusieurs vont essayer de se sevrer sans soutien médical», explique John Read, professeur de psychologie clinique à l’University of East London et chercheur en santé mentale.
«Pendant des années, en Angleterre, on avait les mêmes recommandations qu’il y a présentement au Canada et aux États-Unis. On disait qu’on pouvait arrêter les antidépresseurs en environ quatre semaines et que les effets du sevrage étaient légers et ne duraient qu’une à deux semaines. C’est ce qui a été enseigné aux médecins», indique le Dr Horowitz, qui est lui-même en processus d’arrêt des antidépresseurs.
«Le retrait était trop rapide pour beaucoup de patients, qui éprouvaient des effets de sevrage sévères. Et comme les médecins ne sont pas entraînés à repérer les effets de sevrage, mais qu’ils sont très bien entraînés à repérer les rechutes ou les nouveaux problèmes de santé, ça menait à de nombreuses erreurs de diagnostic.»
Témoignage personnel
De nombreuses personnes, incluant moi-même, se sont retrouvées seules devant une situation profondément troublante, durant laquelle les médecins ont remis en doute notre santé mentale.
Mon histoire est similaire à celle de Sarah King, qui a témoigné dans l’article de Radio-Canada. Cependant, mon médecin a nié l’existence du sevrage et j’ai dû prendre moi-même l’initiative d’ouvrir mes capsules d’Effexor pour en retirer les grains de semaine en semaine, pendant environ 10 mois, en gardant espoir que les effets se dissiperaient éventuellement.
Si mon pharmacien m’a rassuré sur l’existence bien réelle du sevrage, et qu’il m’a suggéré de diminuer d’une manière encore plus progressive que les recommandations de mon médecin, celui-ci m’a tout de même conseillé de les reprendre lorsque je lui ai confié que les effets du sevrage étaient toujours présents.
Si je suis parvenue à arrêter par moi-même, c’est que j’ai changé de pharmacie à la suite d’un déménagement, et que mon médicament se vendait maintenant en capsules de 200 petits grains plutôt que 6 gros, ce qui m’a permis de diminuer de manière encore plus progressive (environ 5 petits grains en moins par semaine). Et aussi, parce que j’ai cru en moi et refusé de croire que j’étais «folle».
«Les symptômes que les gens décrivent sont tellement incroyables que ça sonne comme un problème de santé mentale. C’est probablement ce que j’aurais pensé moi-même en tant que médecin si je ne les avais pas vécus», dit le Dr Horowitz.
Et si on commençait à s’intéresser à la source des problèmes plutôt que de traiter des symptômes à coups de médicaments?
Références:
Noël, Brigitte, et Judith Plamondon. Cauchemar sur ordonnance : les ravages des somnifères et anxiolytiques au Canada. Radio-Canada, 8 février 2024. https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/8468/somnifere-medecins-surprescriptions-sante.
Noël, Brigitte. Sevrage d’antidépresseurs : des patients laissés à eux-mêmes. Radio-Canada, 6 février 2024. https://ici.radio-canada.ca/info/long-format/2050737/antidepresseur-sevrage-arret-medicament-medecin.
Royal College of Psychiatrists. Stopping Antidepressants. RCPsych & NICE, 2023. https://www.rcpsych.ac.uk/mental-health/treatments-and-wellbeing/stopping-antidepressants.
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